samedi 16 novembre 2013

Les chacals de la nuit (à Denise)


Ils sont passés te prendre hier soir, les chacals de la nuit. 
Tu les attendais un peu… Mais pas si vite, pas déjà, pas ce soir dès la tombée du jour, pas encore, pas maintenant. La horde hurlante n’a fait de toi qu’une bouchée te délivrant peut-être des souffrances d’ici-bas. 
Puis va savoir pourquoi, la meute a envahi ma nuit et transformé soudain mon rêve en pire des cauchemars : j'étais mangé vivant, dévoré, déchiré les bras ballant et le reste à l’encan.
Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Tout est affaire de décor…

dimanche 20 octobre 2013

Mémoire d’automne

C’est un doux dimanche d'automne, quand l’été ne veut pas finir et que tu te raccroches au souvenir d’autres dimanches plus chauds, d’autres caresses que celles d’un soleil pâle et tiède sur tes frêles épaules à peine recouvertes. Tu a croisé les doigts et posé tes mains sur le carnet refermé où sont notés les événements du jour, les courses du matin, ce qu’il faudra penser à ranger avant la nuit, les téléphones aux amies, ce dimanche, c’est le tour de C***, tu as même écrit pour ne pas l’oublier ce que tu devais lui demander, quelle était donc cette foutue date où tu étais rentrée sans elle à l’appartement parisien pour ne pas éveiller les soupçons… C'est important, ta mémoire te joue des tours. Mais s’en souviendra-t-elle ?
Sur l’autre rive du lac que tu rejoignais autrefois pour vingt sous par le bac, tu le revois marcher à ton bras de son pas lent tout en te racontant sa dernière trouvaille, un bouquin qu’il a sauvé de l’oubli en l’extirpant des entrailles d’un casier vert, en bord de Seine, quai Malaquais. Qu’est devenu ce trésor ? Vendu peut-être, lui aussi.
La lumière se détend, s’endort presque, une moiteur fraiche monte du lac, il faut rentrer.  Prendre les dernières caresses du soir sur le chemin balisé de ta promenade dominicale. Semer encore les quelques bribes d’une mémoire en sommeil, on ne sait jamais, les souvenirs pourraient repousser, revenir et, avec toi, retenir la nuit qui vient.

jeudi 3 octobre 2013

Twas…

… our day in white satin.

C’était un jour de coton.  Nous marchions à Lisbonne dans le cocon d’une ruelle étroite aux pavés bleus, serrés, souviens-toi, beco da mo. Pas de satin dansés dans la blancheur d’un matin clair, les mains nouées, la tête en l’air. Les murs gazouillaient les notes enjouées de nos murmures heureux. Dans les reflets d’une vitrine oubliée, nous eûmes mille ans quelques instants…

vendredi 9 août 2013

Nectar

Comme l'ambroisie tombée du nid
dans mon allée, sous l'olivier 
cinquantenaire, 
une aube fraiche, endormie, 
envolée, 
pétale d'étoile, éclat de fleur, bouton de ciel, 
caprice des dieux. 
Caressée ce matin par les rameaux de buis 
fantasques 
et turbulents,  
agités par le vent sur ta peau frissonnante 
aux ombres vacillantes.
Nectar d'été que je butine.

samedi 29 juin 2013

Sois sage ô mon image !


« Sois sage ô mon image et tiens-toi plus tranquille,
Tu voulais le miroir, je le tends, le voici.
Une atmosphère fébrile a réchauffé le nid,
Il apporte la paix, efface le souci.
Sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci,
Nous cueillons les remords dans la chambre servile
Mon image, donne moi la main, viens par ici
Entends ma chère, entends venir l'aube claire qui luit. »
pcc Ch. Baudelaire.
Photo : mo - Edition : moi
Ici, l'édition par mo de sa propre photo.

lundi 25 mars 2013

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient

Charlottenburg, Berlin.

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. D'abord il cherche le chemin, ouvre sa voie, transperce un tapis de moisissures, passe entre deux cailloux, un lichen, trois champignons vénéneux, un reste de croûte d'écorce terrestre et un chapelet de fraise des bois. Puis il surgit, escalade le ciel comme aspiré par la lumière, s'y agrippe et la dévore. Il grandit à l'ombre des aînés, les singe et fait son trou, s'enracine, se durcit, s'affirme dans la plus austère des solitudes mais sans le moindre doute sur sa propre grandeur. Il n'a peur ni des vents ni de l'obscurité pesante des nuits sans lune. Il est éternel comme le diamant. On admire sa puissance. Il est immortel.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, dès les premiers tourments. Est-ce la sève qui s'empâte ? La vue qui s'obscurcit ? Le ciel qui se couvre ? Un noir d'ébène gagne peu à peu, assombrit le chemin. Premier obstacle. Premier coude. Il bifurque et cherche d'autres cieux. Le voilà qui se tord pour ne pas se briser. S'arc-boute souvent aux passages difficiles. S'use et se fatigue. Mais il poursuit l'ascension qui le mènera au ciel. Coude après coude, coûte que coûte, il monte aveuglément au soleil. Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. Tête en l'air mais têtu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsque surviennent les premiers doutes. Se tord encore un peu pour regarder derrière aussi, plus bas, voir d'où il vient et mieux savoir, peut-être, où il atterrira. S'il atterrit un jour. Si par malheur il fallait en finir. S'il devait rendre à la terre ce qu'il en a reçu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsqu’apparaît, un triste soir de gris, la grande peur de la nuit éternelle. Tous ses membres le brûlent, les veines éclatent et l'écorce, ici et là, se fend. Mais qu'importe, puisqu'il est éternel. Il est comme le diamant, se moque du temps qui ronge. Il lève une dernière fois les yeux, de crainte et de dépit. Puis les referme en paix.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, et se voit maintenant comme l'amour qui, faute d'éternité, sait jour après jour comment redessiner le ciel.


samedi 16 mars 2013

Fusion

Bundestag, Berlin

C’est compliqué. Prendre deux photographes et les promener dans la ville. Les pousser un peu, forcer le destin et les conduire là où le temps, le froid, l'incertitude ne leur donnaient pas vraiment envie d'aller. Ni même la chance de réussir. De shooter bien. Les installer dans un courant d’air et les obliger à se regarder. A lever le regard. A briser l’effet de glace appelé aussi l'effet de surprise. Quand ils se regardent bien, les laisser mijoter un moment. Ils doivent trouver leur reflet. Les laisser faire. Au début c'est chaotique. Regarder prendre la sauce puis la fouetter. Fort. Le froid les a saisi. Il faut les détendre. Après, juré, c'est onctueux. Un peu cubiste mais fort digeste. C'est ailleurs, c'est autrement. C'est comme ça. On aime ou on n'aime pas. Vous le gardez longtemps en bouche. Vous avez réussi la fusion.

jeudi 14 mars 2013

Wie du solltest geküsset sein ~ Comme il faudrait t'embrasser



Wie du solltest geküsset sein
Wenn ich dich küsse
ist es nicht nur dein mund
nicht nur dein nabel
nicht nur dein schoß
den ich küsse
Ich küsse auch deine fragen
und deine wünsche
Ich küsse dein nachdenken
deine zweifel
und deinen mut
deine liebe zu mir
und deine freiheit von mir
deinen fuß
der hergekommen ist
und der wieder fortgeht
ich küsse dich
wie du bist
und wie du sein wirst
morgen und später
und wenn meine zeit vorbei ist

Comme il faudrait t’embrasser
Quand je t'embrasse
ce n'est pas seulement ta bouche
pas seulement ton nombril
pas seulement ton sexe
que j'embrasse
j'embrasse aussi tes questions
et tes désirs
j'embrasse ta manière de penser
tes doutes
et ton courage
ton amour pour moi
et ta liberté de moi
ton pied
qui est arrivé ici
et qui s'en ira de nouveau
je t'embrasse
comme tu es
et comme tu seras
demain et plus tard
lorsque mon temps sera passé

Erich Fried

vendredi 8 mars 2013

La fille dans la vitrine


La fille dans la vitrine balançait ses reflets peaufinant mille visages croqués au bleu de l’âme… La fille dans la vitrine secouait les yeux gourmands le flâneur imprudent, quidam vampé qui stoppa net et la fixa. Après les regards, des doigts se sont croisés… Après la pause, le temps s’est effacé bientôt suivi par d’autres poses. Les courses étaient finies. La vitrine oubliée. Ils avaient pu briser la glace.

dimanche 17 février 2013

La liseuse



“Când ne deschidem
tu mie şi eu ţie,
când ne scufundăm
tu în mine şi eu în tine,
când ne pierdem
tu în mine şi eu în tine,
Abia atunci
eu sunt eu
şi tu eşti tu.”

“When we open ourselves
you yourself to me and I myself to you,
when we submerge
you into me and I into you
when we vanish
into me you and into you I
Then
am I me
and you are you.”

Bernhard Schlink, The Reader

mardi 12 février 2013

L'étreinte


« Dans l'obscurité, il se rendit dans l'étrange contrée et c'était véritablement très étrange, dur d'y entrer, tout à coup d'une difficulté périlleuse, puis aveuglément, heureusement, sans danger, enveloppé, débarrassé de tous les doutes, de tous les périls, de toute crainte, tenue sans retenir, tenir, tenir toujours plus, retenir encore pour tenir, chassant toutes les choses d'autrefois et toutes à venir, tirant l'éclat du bonheur commençant dans les ténèbres, plus près, plus près, plus près à présent, plus près et toujours plus près, pour aller au-delà de toute croyance, plus long, plus fin, plus loin, plus fin, plus haut et plus haut pour conduire vers le bonheur soudain, atteint comme un bouillonnement. »

Ernest Hemingway, L'Etrange Contrée.

vendredi 8 février 2013

Dans les poumons de l'architecte

Bundestag, Berlin.

“The spaces that spiral around the building act as the lungs”.
Norman Foster.

Nous étions sortis prendre l’air et tu m’avais conduit dans les poumons de l’architecte. Tu voulais voir comment nous pourrions respirer ensemble l’air du dedans et l’air du dehors, tous les deux en même temps, les heures pleines, le temps suspendu. Tu voulais savoir comment nous pourrions nous élever bras-dessus bras-dessous, les yeux levés au ciel mais les pieds bien au sol gravissant cette spirale qui n’en finissait pas de monter, de descendre, nous ne le savions plus. L’organe avait cette transparence enchanteresse qui  libère et referme, qui emporte et protège. Il avait cette rondeur qui gomme les angles de la vie, une vue nouvelle à 360 degrés désir. Nous respirions à pleins poumons les courants de l’air frais dans cette bulle offerte à la promenade des amants de Berlin.

lundi 14 janvier 2013

Les amants du Pont-Neuf


Ce fut d’abord lui qui, le premier, maladroitement, écrivit ceci pour elle sur un morceau de carton posé sur le caniveau du pont :
« Quel qu’un vous aime.
Si vous aimez quel qu’un
vous lui dit demain
“le ciel est blanc”.
Si c’est moi je réponds “mais les
nuages sont noirs”.
On saura comme
ça qu’on s’aime. »
Le jour vint où le ciel était blanc et les nuages noirs. Où les amants s'aimèrent. Les amants du Pont-Neuf. Ils se disaient parfois des choses comme ça.
Lui : J’ai eu peur, je courais sous l’eau, j’ai fait un cauchemar, serre-moi. C’était la nuit, t’étais plus sur le pont, t’étais perdu dans le noir, je te cherchais, je voyais plus rien…
Elle : Je suis là où tu veux que je sois. On va plus se quitter d’une semelle et le jour où je ne verrai plus rien, tu seras ma dernière image, derrière mes yeux pour toujours. Tu m’aimeras ?
Lui : Oui, comme avant mais pas pareil.
Elle : Tu es beau, c’est étrange. Depuis des semaines, toutes les nuits ou presque, j’ai des images de toi. Les gens qui sont dans nos rêves, il faudrait toujours les appeler le matin au réveil. La vie serait plus simple.

Extraits des Amants du Pont-Neuf, de Leos Carax.

mercredi 9 janvier 2013

Murmures de mots d'amour à mur


Il ne fallu pas plus d’un mur à Mo (d’amour) qui pliait sous le poids d’un pur baiser (d’amour), un mur de mots peut-être, pour murmurer ses mots (d'amour)  à mes oreilles impures ici même où, autrefois, les murs eurent des oreilles. Murmures à mur de Mo d'amour. D'amour de Mo qui dure.

dimanche 6 janvier 2013

Au bar de l'univers



Le vin, c'est comme l'amour. Au début on est bien, ça tourne un peu la tête, on se lâche, on devient un peu con mais comme on est deux à s'engourdir, on se croit plus fort. C'est le charme des substances. Surgit alors le petit vertige, la perte d'équilibre, la vie comme un reflet sans fond. On est encore de quelque part perdu dans le lointain miroir de l'illusion. Et puis de verres en vers la frousse de l'abandon, la mécanique volatile de la fusion. Alors on s'en jette encore un petit, le dernier, c'est juré… Pour la route. A la nôtre mon amour !